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03 - L’observation des droits humains a-t-elle besoin d’un autre observateur ? | L'Iran, déçu mais debout | RoohSavar
Prisonnière politique pendant sept ans, Bahareh Hedayat publie en janvier 2017 une lettre ouverte où elle remet en cause l’action des organisations internationales défenseures des droits humains.
Bahareh Hedayat était porte-parole du regroupement de syndicats étudiants iraniens - Takim-e Vahdat. Elle a été arrêtée à la suite des manifestations massives liées à la réélection contestée du candidat conservateur Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République islamique d’Iran en 2009.
Incarcérée en 2009 pour des raisons politiques à la prison d’Evin à Téhéran pendant sept ans, elle publie en janvier 2017 une lettre ouverte où elle remet en cause l’action des organisations internationales défenseures des droits humains. Selon Bahareh, elles n’exercent pas leur activité de manière équitable, elles mettent de côté certains cas trop sensibles.
Elle souligne dans sa lettre l’inaction des principaux défenseurs des droits de l’Humain, pour l’essentiel installés à l’étranger, face à la répression du Mouvement vert, qui a conduit à l’arrestation de nombreux leaders étudiants et représentants de la société civile.
Sur la question des prisonniers politiques, elle s’exprime en ces termes :
« La question des prisonniers politiques appartient au champ des droits de l’Humain. Or si les défenseurs de droits de l’Humain sont favorables à une défense impartiale des prisonniers ou du moins s’engagent pour “soutenir le droit à l’accès à un procès et à un jugement équitable”, malheureusement leur silence concernant le sort de nombreux prisonniers politiques semble immoral. »
Mais qui est Bahareh Hedayat ? Une personnalité reconnue, couronnée en 2012 par le prix Edelstam (attribué par une ONG suédoise récompensant les attitudes exemplaires au service des droits de l’Humain). Il est donc particulièrement remarquable qu’une militante ayant payé si cher son engagement en faveur de la démocratie et des droits des femmes prenne ses distances par-rapport aux structures officielles de défense des droits de l’Humain. Elle affirme plus loin que « le silence au sujet des droits de l’Humain équivaut à un arrangement obscur, et cela est contraire à la transparence que nous attendons. »
On peut se demander avec qui et pourquoi ces militants ont conclu un tel arrangement. Elle y répond plus loin. Condamnée à neuf ans de prison ferme, Bahareh Hedayat cherche probablement à mettre en cause l’attitude de certains de ses compatriotes, parfois proches de l’extrême droite américaine, reconnus pour leur engagement en faveur des droits de l’Humain, et qui, selon elle, ont une attitude sélective envers les prisonniers politiques :
« Combien de fois les stars des droits de l’Humain ont-elles prononcé le terme Mouvement vert ou ont mentionné les noms de Mir-Hossein Mousavi, Mahdi Karroubi, ou Zahra Rahnavard ?”
Il n’est pas impossible que le silence qui entoure le sort de ces leaders politiques soit lié à leur appartenance religieuse.
Bahareh Hedayat estime que “garder le silence, loin d’être apolitique, est une prise de position politique ».
En effet, les activistes qu’elle critique sont, pour l’essentiel, des opposants farouches au régime actuel et favorables aux interventions militaires étrangères telles qu’on a connues en Irak ou en Libye. Or, les prisonniers politiques dont elle fait partie sont anti-interventionnistes, partisans de l’activisme non violent, et plutôt favorables aux solutions réformistes, qu’ils jugent possibles et nécessaires à court terme.
Le silence international qui pèse sur leurs activités de terrain serait donc une manière d’étouffer leurs revendications et de leur ôter toute légitimité.
Sortir des obsessions médiatiques occidentales
Pour conclure, Bahareh Hedayat appelle les « les célébrités activistes des droits de l’Humain » à prendre conscience de l’ampleur des enjeux, certes peu médiatiques, et à sortir des luttes partisanes :
« La mise en résidence surveillée des leaders du Mouvement vert est, elle aussi une cause nationale, en raison du nombre d’individus concernés – plusieurs milliers – , du nombre de personnes dont les droits fondamentaux ont été bafoués et dont les attentes n’ont pas été satisfaites. »
Elle achève sa lettre, envoyée de la prison d’Evin où elle est restée jusqu’en 2020, par cette critique virulente :
« Je rêve qu’un jour viendra où les défenseurs des droits humains n’agiront plus par fantaisie ou par calcul politique, mais observeront l’action des pouvoirs et des Etats. Mais il me semble que l’observation du respect des droits de l’Humain a besoin d’un autre observateur.»