13 - Quarante-quatre ans après la Révolution islamique, un clergé déconnecté d’une société iranienne moderne et libérale | L'Iran, déçu mais debout | RoohSavar
S’il y a 40 ans on préférait un lien entre l'État et les autorités religieuses, l'Histoire n’a pas accouché une société islamique dans le sens souhaité ou promise par les pères de la Révolution.
Depuis sa naissance, la République islamique est traversée par les tensions consubstantielles à sa nature duale : religieuse du fait de la structure du système qui place le Guide au-delà du jeu politique, républicaine par son fonctionnement (élections nationales et locales).
Le poids du chiisme dans la vie politique et économique de l’Iran
La Constitution iranienne, qui stipule que “la République islamique est un système basé sur la foi” (deuxième principe) tout en précisant que “les affaires du pays doivent être conduites avec l’appui de l’opinion publique, par la voie d’élections ou par la voie de référendum” (sixième principe), incarne cette dualité entre légitimité divine et souveraineté populaire. Contrairement aux conceptions occidentales de la “théocratie” iranienne, selon la Constitution, les membres du clergé ne gouvernent que du fait de leur élection par le peuple, et non du fait de leur simple statut de religieux. En réalité, les religieux présents dans le rang des dirigeants iraniens ne sont que parmi de bas d’échelle du clergé chiite : des mollahs intermédiaires. Le Guide actuel lui-même ne fait pas partie des hautes autorités religieuses dite « marja’ ». Il est choisi par l’Assemblée des experts, élue elle-même au suffrage universel direct.
En outre, les deux présidents qui ont le plus œuvré pour rééquilibrer le système en faveur de sa composante républicaine et démocratique (au détriment de sa nature religieuse) sont deux membres dudit clergé, Mohammad Khatami (1997-2005) et Hassan Rouhani (2013-2021). Le port du turban n’est donc pas gage de soutien au pouvoir du clergé, de même que l’appartenance au monde laïc est un gage de soutien au caractère républicain du régime. Pour preuve, les deux mandats du laïc Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), ardent promoteur d’un Iran plus religieux et plus conservateur.
Au-delà de la structure même du velayat-e faqih et de ses institutions, le jeu politique iranien, dans son fonctionnement usuel, n’est finalement que peu influencé par le poids du religieux et du chiisme. Si les règles de bonne morale islamique s’appliquent certes dans l’espace public et privé, l’administration iranienne fonctionne relativement sur un modèle de droit commun. De même, en dépit de nombreuses tentatives d’islamiser le domaine économique, l’économie iranienne, dans sa réalité de 2023, correspond davantage à un modèle étatique libéral comparable à la Chine ou à certains pays en développement. En théorie, la Constitution iranienne n’a rien à envier à d’autres manifestes socialistes des années 1970 : elle met l’accent sur le combat contre les inégalités, le partage des richesses, la prise en charge des plus vulnérables, l’accès aux ressources et la participation de toutes les forces vives de la société au projet commun. Le système de santé et de protection sociale, ainsi que le système éducatif, témoignent encore partiellement de cette inspiration socialiste.