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03 - La continuité persane | Quatre renaissances iraniennes | RoohSavar
Afin de mieux connaître des Iraniens, il est impératif d'introduire le zoroastrisme, une pensée qui a influencé profondément le soufisme mais aussi le Chiisme, deux piliers de l'identité iranienne.
La vision quasi dualiste du monde est le principe même de la religion multimillénaire des peuples du plateau iranien, le mazdéisme/zoroastrisme, mais aussi son dérivé extrêmement dualiste le plus connu en Occident, le manichéisme. Le dualisme du manichéisme « est compris comme apposant la substance de Lumière et la substance des Ténèbres à la façon de deux principes éternels, mais de nature sensible et par conséquent situable dans l’espace. »
. Alors que le dualisme zoroastrien est moins rigide, pourtant dramatique : « une perception dramatique de la dualité et du conflit, entre lumières et ténèbres, bonté du créateur et méchanceté des forces sataniques. »Zoroastre et le zoroastrisme
Le zoroastrisme, connu aussi sous le nom du mazdéisme, est la religion monothéiste de l’Iran antique fondée par Zoroastre (Zarathoustra) probablement entre les XVe et XIe siècles av. J.-C.
On peut dire qu’il vivait dans le nord-est de l’Iran antique, actuellement entre l’Afghanistan et l’Ouzbékistan.Au début du VIIIe siècle, on comptait environ un million de zoroastriens en Iran. De nos jours, ils sont principalement présents en Iran et en Inde.
Le dictionnaire de philosophie d’Oxford reconnaît Zoroastre comme étant le premier penseur connu de l’Histoire.
Dans l’Antiquité, les Grecs et les Romains pensaient qu’il était à la fois le fondateur du mazdéisme et du mithraïsme ou le Culte de l’Amour (Mithra). Toutefois, nous savons aujourd’hui que Zoroastre n’était pas le fondateur de mithraïsme. Ce culte, était la religion dominante dans la Perse antique avant l'arrivée du mazdéisme/zoroastrisme. Le mithraïsme s'est répandu vers d'autres territoires comme l'Anatolie et le sud de l'Europe et s'y est développé entre le Ier et le Ve siècle ap. JC.L’influence du Zoroastre sur les penseurs grecs est importante. Certains historiens de l’Antiquité pensaient qu’il était le contemporain de Pythagore
car ce dernier reprend l’opposition entre la Lumière et les Ténèbres, le bien et le mal, des enseignements du prophète perse. Clément d'Alexandrie, (150-215 ap. JC) l’un des pères de l’Eglise, reconnaît en personnage Er dans La République de Platon, la personnalité de Zoroastre. Plusieurs chercheurs ont démontré l’impact indéniable du zoroastrisme sur les philosophes de la Grèce antique comme Pythagore, Héraclite et Platon.Le cardinal Marsile Fici (1433- 1499) poète et philosophe néoplatonicien italien le désigne comme un des six grands théologiens de l’Antiquité aux côtés d’Hermès Trismégiste, Orphée, Aglaophème, Pythagore et Platon. Il le considère la source de toutes les écoles platonicienne. Le cardinal Marsile Fici (1433- 1499), poète et philosophe néoplatonicien italien le cite parmi les six grands théologiens de l’Antiquité aux côtés d’Hermès Trismégiste, Orphée, Aglaophème, Pythagore et Platon. Il considère qu’il est la source de toutes les écoles platoniciennes.
Eusèbe de Césarée, pionnier de l'histoire ecclésiastique pensait qu’il était le roi de Balkh (situé dans le nord de l’Afghanistan) et contemporain d’Abraham.
Certains autres historiens chrétiens le considéraient comme un descendant de Noah.Au-delà de l'impact du zoroastrisme sur la pensée des philosophes grecs, cette religion a surtout influencé les religions monothéistes du Moyen-Orient. Aussi bien le manichéisme dont la doctrine dualiste lui emprunte naturellement des éléments que le judaïsme, le christianisme et plus particulièrement l'islam dans lequel on retrouve cette idée de coexistence du bien et du mal où l'Homme doit exercer son libre arbitre.
Ferdinand Lassalle (1825 -1864), philosophe socialiste prussien le voit comme l’inspirateur de Hegel.
Selon Hegel, l’humanité a fait ses premiers pas dans l’Histoire avec les Achéménides sous l’influence des enseignements zoroastriens. Ainsi, il inspire du zoroastrisme dans son Idéalisme et sa philosophie de l’histoire notamment quand il incite l’Homain à jouer un rôle active dans l’Histoire. Un autre exemple européen de l'influence et de la représentation de cette religion au travers des siècles, dans l’opéra La Flûte enchantée de Mozart, Zoroastre est incarné comme un sage sauveur, prophète des lumières contre les ténèbres.Un dualisme aux services du monothéisme
Selon de nombreux historiens et théologiens, Zoroastre, sous l’influence d’autres religions de l’Iran antique, a été le premier à développer cette philosophie dualiste au cœur d’une religion monothéiste universelle.
D’après ses enseignements, l’univers et un champ de bataille entre le bien et le mal où l’être humain est libre de prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Dans une telle scénographie, Ahura Mazda (le dieu de la Lumière) est le gardien et l’ami de celui ou celle qui est juste, contre Ahriman, le diable maître des Ténèbres.
Selon l’historien allemand Martin Haug, le prophète de l'Iran antique Zoroastre est théologiquement monothéiste, alors que philosophiquement il est dualiste.
On peut se demander comment une philosophie dualiste peut s’incarner dans une théologie monothéiste. En réalité, l’essence dualiste du mazdéisme, dénommé historiquement le zoroastrisme, fait de Zoroastre le premier penseur qui offre une réponse à la question de l’existence du mal dans un univers créé par Dieu. Quand on sépare le mal du bien, quand on le distingue et qu’on lui donne un nom et une image, on protège le bien des soupçons de méchanceté parce que le mal ne vient pas de lui mais d’un autre être. Mais ce qui est le plus important, c’est qu’on donne un sens aux actes du croyant. Ainsi, la véritable dualité ne demeure pas entre le Dieu et le Diable, mais entre Asha (la bonté) et Druj (le mensonge ou dorough en persan actuel).Malgré cette vision dualiste de l’univers, les Zoroastriens sont monothéistes et croient en un seul Dieu, Ahura Mazda, source de sagesse, le créateur du ciel et de la terre. Selon Zarathoustra, il existe un esprit saint (Spenta Mainyu), fils d’Ahura Mazda, et un esprit mauvais (Ahriman), son jumeau, tous deux opposés car représentant le jour et la nuit, la vie et la mort.
Le zoroastrisme influence, voire encadre, les religions monothéistes. Dans un monde polythéiste, le dualisme paraîtrait un passage logiquement nécessaire vers le monothéiste : le bien absolu, Ahura Mazda, est l’antithèse du mal absolue, Ahriman.
La naissance du Libre arbitre, la pensée universelle et l’entrée de l’Homme dans l’Histoire
Avec le zoroastrisme, le déterminisme théologique et la subordination absolue de l'être humain envers les dieux et leurs volontés laisse sa place à un l’être humain doté d'un pouvoir de « libre arbitre » entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres. Ainsi, l’Homme étant capable de choisir entre ces deux voies, prépare son entrée dans l’Histoire. Désormais, c’est lui qui, avec son choix entre le bien et le mal, détermine la direction de l’Histoire.
Il faut trouver la source de cette vision dans la religion et la philosophie des Iraniens de l’Antiquité. En effet, le zoroastrisme est la première religion universelle qui ne limite pas son message et son Salut à un peuple ou une ethnie mais il réfléchit à l’Homme, sa place dans l’Histoire, et son rôle face au bien et au mal. D’après Yuval Noah Harari, les Perses achéménides (550 av. J.-C. - 330 av. J.-C) étaient les premiers à détenir une conception globalisée du monde (terrestre comme céleste) en créant le premier véritable empire de l’histoire dont les frontières s'étendaient sur environ 7,5 millions de kilomètres carrés.
Les zoroastriens étaient les premiers à théoriser la concentration de toute la bonté de l’Univers dans un seul être (et un non-être en même temps) ; Ahura Mazda (le Dieu). C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles, contrairement à la majorité des peuples alors polythéistes convertis à l’Islam, les Iraniens n'ont pas vécu l’apparition de l’Islam comme une révolution religieuse ou une rupture théologique, mais plutôt comme une mise à jour philosophique.
Finissons cette partie avec le constat du grand spécialiste de la littérature persane et chercheur des cultures iraniennes, Mohammad Reza Shafiei-Kadkani
:« La réflexion sur la continuité de ce défi historique [la dualité], cette problématique philosophique mais aussi sociale [dans notre histoire] nous persuade que la colonne vertébrale de notre Histoire est fondée sur un certain paradoxe [philosophique] et une mentalité paradoxale. Dans notre histoire, de la bataille d’Ahura Mazda contre Ahriman dans les lointaines époques zoroastriennes à nos mœurs d’aujourd’hui (de la culture musulmane), nous n’avons jamais pu nous débarrasser du pouvoir magnétique de cette mentalité paradoxale. Jamais nos chemins ne sont devenus carrés et tout droits.
Il est possible que le secret de notre mystérieuse survie au cours de l’Histoire jusqu’à nos jours soit bien cette même pensée paradoxale. Si notre mode de réflexion était rigide et sans complexité, il aurait été probable que, comme de nombreux autres peuples, nous aurions été assimilés à d'autres civilisations, ou nous aurions tout simplement disparu.
Bien que cette mentalité paradoxale ait affaibli notre détermination et nous ait empêchés, [dans l’histoire récente du pays] de réaliser certains progrès matériels et sociaux, elle avait un intérêt indéniable : elle nous a rendus flexibles et résilients de sorte qu’aux nombreux moments catastrophiques comme l’invasion mongole nous avons réussi à nous sauver. Ainsi, nous avons assuré notre continuité. Dans nos peintures naïves
et populaires, étant les parfaites représentations de notre esprit, Siavash [le héros mythique de l’Iran antique] traverse sereinement les flammes [une scène inspirée par la mythologie zoroastrienne liée à la fête de feu que nous avons expliquée précédemment] portant un drapeau tagué des versets coraniques. »Henry Corbin, Avicenne et le récit visionnaire, 1979, p.62
Amir-Moezzi, Mohammad-Ali; Jambet, Christian. Qu'est-ce que le shî'isme ? (Histoire de la Pensée) (French Edition) (Kindle Locations 5140-5143). Fayard. Kindle Edition.
Homa Katouzian, The Persians. Ancient, Medieval and Modern Iran, New Heaven, Yale University Press, 2010,
Blackburn, The Oxford Dictionary of Philosophy, 409.
De Jong, Traditions of the Magi, 319.
Johann Eduard Erdmann, History of Philosophy, Vol.I.P.50,
Frenschkowski, Christianity, 461.
Paul Janet : History of the Problems of Philosophy, Vol.2.p.147
Dabashi, Persian Culture on the Global Scene, 92
Haug : Essays on the Sacred Language, Writings and Religion of the Parsees - General Books (1 janvier 2012)
Auteur, poète, historien, il est professeur à l’université de Téhéran
Etant un mouvement non académique, l’art naïf ne possède pas de définition propre. Il se caractérise cependant par une représentation figurative de sujets populaires. L'une des principales caractéristiques de l’art naïf consiste en un style pictural figuratif ne respectant pas — volontairement ou non — les règles de la perspective sur les dimensions, l'intensité de la couleur et la précision du dessin.
Mohammad Reza Shafiei-Kadkani – Le langage poétique dans la prose soufie - Editions Sokhan - 2013