09 - Dix siècles de prédominance persane | Quatre renaissances iraniennes | RoohSavar
On a parlé de l'histoire du persan et de ses origines. Aujourd’hui je vous parle du persan moderne, né aux alentours du VIIIe et du IXe siècles.
Bonjour,
Dans le précédent billet des “Quatre renaissances iraniennes” on a vu que la langue persane est à la fois l’une des plus vieilles des langues jeunes au monde mais aussi l’une des plus jeunes des vielles langues. Elle est née aux alentours du VIIIe et du IXe siècles dans le grand Khorasan.
L’histoire iranienne et le persan ne se limite pas aux frontières politiques de l’Iran actuel. Elle contient un vaste territoire habité où le persan a joué un rôle culturel et administratif essentiel. Ce territoire, les Iraniens l’appellent « Iran-zamine ». « Iranland » en anglais en est probablement la traduction la plus proche. On peut diviser l’Iran-zamene à deux grandes divisions orientales et occidentales. Depuis cinq mille ans, le centre de gravité de la civilisation iranienne alterne entre ses deux parties. L’Iran oriental contient l’est de l’Iran actuel, l’Afghanistan et le Tadjikistan contemporains, mais aussi les territoires du sud du Turkménistan et de l’Ouzbékistan (notamment ses villes persanes Samarqand et Boukhara), ainsi que l’ouest du Pakistan. De l’autre côté, l’Iran occidental inclut l’ouest de l’Iran actuel, mais aussi l’Azerbaïdjan et l’Arménie, sans oublier l’est de l’Irak et de la Turquie. Bien évidemment ses pays sont aujourd’hui des pays indépendants avec des nations respectivement souveraines.
Aux alentours du IXe siècle les peuples turcs progressivement entamé leur conquête du nord de l’Iran-zamine sans pour autant s’opposer à la persanophonie. Au contraire, ils ont joué un rôle historique dans l’expansion du persan dans tous les territoires musulmans non-arabophones. On revient sur cet épisode de l’histoire plus tard. Cette situation a perduré jusqu’au XIXe siècle où ses jeunes peuples ont décidé de créer des nouvelles « nations ». Le suffixe « stân » en persan qui signifie « lieu » ou « pays » marque cette appartenance historique et culturelle : Kirghizistan = le pays des Kirghizes ; Ouzbékistan = le pays des Ouzbéks ; Kazakhstan = le pays des Kazakhs ; Turkménistan = le pays des Turkméns ; Cela est, sans surprise, le cas d’autres peuples historiquement iraniens ou presque : Tadjikistan = le pays des Tadjiks ; Afghanistan ; le pays des Afghans ; Pakistan ; le pays des purs. Le mot « pâk » en persan signifie « pur » et « propre ». Lors de l’indépendance en 1947, les musulmans du sous-continent indien ont baptisé leur patrie le Pakistân : « le pays des purs ». L’hymne national du Pakistan est également en persan alors que la langue officielle du pays est l’ourdou, une langue de la sous-branche de la famille des langues iranienne elle-même faisant partie de la grande famille des langues indo-européennes.
Le moyen-persan au grand Khorasan
Revenons à notre histoire. Le berceau de la deuxième renaissance iranienne se trouve à l'est de l’Iran-zamine, dans le grand Khorasan (l’est de l’actuel Iran et l’ouest de l’Afghanistan) et la région Transoxiane (le nord de l’Afghanistan, Tadjikistan, Ouzbékistan et Turkménistan actuels). Approximativement, on peut désigner le grand Khorasan comme l’Iran oriental où le persan qu’on parle aujourd’hui est né.
La langue persane qui retrouve ses racines dans l’Iran antique, a subi des évolutions jusqu'à mener à l'établissement d'un nouveau persan, le « dari », qui est une adaptation du moyen-persan de l’époque préislamique sassanide. Ce persan moderne est reconnu pour la première fois dans le grand Khorassan et probablement à Balkh, dans l’actuel Afghanistan ou à Boukhara dans l’actuel Ouzbékistan. Il est adopté par la cour samanide. Le mot « darbâr » désigne la cour en persan. C’est probablement la raison pour laquelle on appelle le persan moderne « le persan dari » (le persan de la cour), qui naît aux alentours du VIIIe et du IXe siècles.
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Les Saffârides (867-1003), rivaux des Samanides, étaient les premiers à redonner un statut officiel à la langue persane après plus de deux siècles de domination arabe. Ya'qūb-i Layth-i Saffārī, le fondateur de la dynastie en 860, fut le premier souverain à déclarer le persan comme langue officielle de son empire. Quant aux Samanides, ils utilisaient la langue arabe dans les domaines administratifs et la considéraient comme un signe de l'unité du califat et la communauté des croyants. Cependant, ils ont soutenu de nombreux poètes persans tels que Roudaki, considéré comme le père de la poésie persane mort en 941 et Daghighi (vers 935 et mort vers 980). Ils ont été parmi les premiers à écrire dans un nouveau persan en complétant et en mélangeant divers dialectes locaux. Cette langue a été acceptée à la cour des Samanides et s'est finalement répandue pour devenir la langue perse moderne, qui est restée intacte, avec un certain nombre de changements phonétiques jusqu'à aujourd'hui.
Roudaki est le premier grand poète persan. Il s'est épanoui au Xe siècle, à l'apogée du pouvoir des Samanides. Le persan de cette période peut être considéré comme ayant plusieurs dialectes normalisés et des styles établis plus tard par des auteurs et ses poètes classiques tels que Ferdowsi, Attar, Nezami, Saadi et Hafez.