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01 - Pourquoi j’écris cet ouvrage ? L'Iran, déçu mais debout | RoohSavar
Prologue ; voici deuz ans de travail sur l'Iran, sa politique sa géopolitique, mais aussi sa société.
Bonjour,
Si vous recevez ce mail, c’est parce que vous êtes parmi les quelques dizaines de participants à la compagne de financement participatif de mon ouvrage “L'Iran, déçu mais debout”.
Certains d’entre vous le savent déjà mais certains d’autres ne sont probablement pas au courant.
L’an dernier, j’ai eu un souci important de santé. Après trois opérations chirurgicales dont une avec l’anesthésie générale, j’ai heureusement retrouvé ma santé après quatre ans de problème rénal. C’est une longe histoire qui commence par l’amour et son chagrin, continue avec une erreur médicale fatale et la douleur qui suit avec, mais qui termine par une délivrance corporelle et spirituelle. Elle mérite un feuilleton. Si vous connaissez une boîte de production, je suis prêt à céder les droits. Mais plus sérieusement, aujourd’hui tout va bien et je suis en très bonne santé.
Néanmoins, j’ai perdu le fil du projet à la suite de cet épisode compliqué. Ensuite, le prix de papier est grimpé soudainement. Étant donné de la situation, je me suis dit qu’en attendant de la publication de la version papier de mon travail ( d’ici fin d’année ? ), je peux vous partager les chapitres et vous offrir une lecture d’été avec la saveur de l'Iran dans votre boîte e-mail. Le voici premier épisode exclusivement pour vous. Mais ce n'est pas tout. Une version audio du livre est en réalisation et vous sera offerte très prochainement.
Je tien à vous remercier sincèrement pour votre soutien et votre patience sans lesquels il m'était impossible d'aller jusqu'au bout de ce travail.
Bonne lecture et à très vite,
RoohSavar
00 - Pourquoi j’écris cet ouvrage ?
Journaliste et exilé politique, j’arrive en France en novembre 2009 sans parler un mot de français. En 2011, je commence à écrire sur un blog hébergé chez Rue 89 baptisé « Regards persans ». L’idée du blog était de parler de l’Iran à travers les actualités françaises. Isabelle Eshraghi, la précieuse photojournaliste franco-iranienne, était à l’origine de cette idée. Elle m’a mis en contact avec Pierre Haski, le fondateur du média qui a tout de suite adhéré au projet.
Je me suis dit que c'était peut-être enfin le moment de partager mon génie analytique avec les Français. J'ai eu la chance de pouvoir voir de près Ségolène Royal et de parler avec plusieurs directeurs de campagne des candidats à la primaire de la gauche pour la présidentielle 2012. Plusieurs d'entre eux sont devenus ministres quelques mois plus tard, comme Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l'Éducation nationale.
La chronique a été un succès relatif, du moins pour moi. J'ai eu des dizaines de commentaires directement sur le site. (C'est dommage qu'après le rachat du site par L'Obs, on ne puisse plus voir les commentaires des anciens lecteurs).
Une illusion exotique
Il faut savoir que les Français sont un peuple « Late adopter » ou en bon français « d’utilisateurs tardifs » en matière d’adaptation à de nouveaux outils de communication et technologique. C’est peut-être la raison pour laquelle ils ont créé La French Tech (une organisation qui promeut les start-ups françaises), pour garder à l'esprit que la France ne se résume pas à la nourriture, au tourisme ou aux affaires présidentielles, mais qu'elle peut aussi être un pays de la Tech, ou comme Emmanuel Macron aime à la qualifier ; une « Start-up Nation ».
Ceci dit, le fait est que lorsque vous avez eu des dizaines (et parfois des centaines) de commentaires en 2012 (il y a dix ans !), vous pouvez vous considérer comme un influenceur sur le sujet. J'ai gardé une relation de proximité avec un certain nombre de mes lecteurs car leurs commentaires comptaient beaucoup pour moi. Certains d'entre eux, je les ai vus directement autour d’une tasse de café, comme c'est la coutume à Paris. Au fil du temps, je me suis rendu compte que l'attention portée à mes articles n'était pas due à la pertinence de l’analyse, mais plutôt à leur caractère exotique : « regardez ! Un Iranien qui parle de nous, c'est curieux ! »
L'innocence du nouvel arrivant
Après coup, j'ai relu tous mes articles. En fait, certains de mes billets n'étaient pas du tout pertinents mais naïfs et, honnêtement, parfois stupides. Par exemple, je pensais que Ségolène Royal était une femme politique douce et romantique. Ou alors, j'avais en tête ce cliché selon lequel la religion est un non-sujet dans les débats politiques français, et que les partis politiques ici sont (ou doivent être) très progressistes, ouverts et horizontaux.
Mais j'avais tort. Tellement tort ! Je regardais la scène politique française avec mes lunettes iraniennes. Pierre Haski a eu raison de nommer ma rubrique "Regards persans" face à notre proposition initiale qui était « Lettres persanes » avec ce clin d’œil indiscret à l’œuvre de Montesquieu.
J'ai donc décidé de changer de regard. « Nous devons nous laver les yeux, nous devons regarder autrement », comme le dit le poète contemporain iranien Sohrab Sepehri.
Si vous voulez écrire sur les questions internes d'un pays, vous devez connaître les contextes, l'histoire des acteurs, et même leur état d'esprit. Tout cela me manquait cruellement en 2012 en ce qui concerne la scène politique française. J'étais un journaliste avec une maîtrise acceptable du français, mais cela ne suffisait pas pour écrire sur la complexité du spectre politique dans un pays comme la France. J'ai donc continué à m'informer et à suivre toutes les évolutions politiques du pays.
Les Lettres persanes de Montesquieu et l’erreur méthodologique
Par la suite, en 2015 je décide de créer un média spécialisé sur l’Iran que je baptise « Lettres Persanes » m’inspirant des Lettres persanes de Montesquieu. Un média francophone qui raconte l’Iran, sa politique, sa société et sa culture d’aujourd’hui.
Méconnu en Iran, l’œuvre de Montesquieu est un classique de la littérature française dont le nom résonne dans les esprits français. Quand je dis que « je suis le fondateur des Lettres persanes », on me répond souvent : « oui ! Le nom me dit quelque chose. Je l’ai certainement vu ou lu avant ». En bon communiquant que je suis, je réplique : « oui ! En effet, on est assez réputé ». Mais en réalité mes interlocuteurs français ont déjà entendu parler du livre de Montesquieu à l’école. Certains entre eux ont même rédigé une fiche de lecture ou une dissertation sur ce livre au cours de leurs études.
Moi-même, j’avais déjà lu une belle traduction persane du livre quand j’étais plus jeune et encore en Iran. À l’époque, l’histoire ne m’avait pas autant attiré et je n’avais pas réussi à aller jusqu’au bout du livre. Après avoir créé Lettres Persanes (le média), je me suis dit qu’il fallait le lire de nouveau. Et cette fois-ci, j’ai pu le lire en français.
La préface de Montesquieu me convient très bien. Notamment lorsque l’auteur dit que « Les Persans qui écrivent ici […] me communiquaient la plupart de leurs lettres ; je les copiai. […] Je ne fais donc que l’office de traducteur. »
Et c’est exactement ce que nous, Delphine O mon associée et moi-même, faisions chez Lettres Persanes (le média) : traduire la presse iranienne. Je me suis rendu compte que malgré la censure de la presse en Iran, la production journalistique iranienne reste largement plus riche et de qualité par rapport à la plupart de la production médiatique étrangère sur l’Iran.Les années cauchemardesques de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) venaient de s’achever et la presse commençait à retrouver sa fraîcheur. Grâce à la reprise des négociations sur le programme nucléaire iranien avec un nouveau président diplomate en Iran, Hassan Rouhani (2013-2021), l’Iran revient au-devant de la scène internationale. Les médias du monde entier s’intéressent à l’Iran. On découvre un pays dont l’image n’a rien à voir avec ce dont on a l’habitude de voir à l’écran des JTs depuis les trois décennies post révolutionnaires. L’Iran a profondément changé et les médias occidentaux ont raté cette évolution interne. Alors, la soif médiatique explose soudainement.
Revenons à notre cher Montesquieu un instant. Malgré la préface séduisante du grand auteur français, plus je relis le reste de l’ouvrage, plus je me dis que sa méthode est à l’opposé de mon approche journalistique. Je m’explique.
De nombreux chercheurs et intellectuels ont critiqué le regard orientaliste des écrivains occidentaux dits « orientalistes » dont les Lettres persanes de Montesquieu en sont un parfait exemple. Le grand philosophe français écrit cet ouvrage dans le but de mettre en lumière les mœurs de la société française et les critiquer. Il met en scène deux voyageurs persans débarquant en France, racontant leur séjour français par correspondance à leurs familles en Iran (dite la Perse à l’époque en Occident). Ils comparent en permanence leurs vécus respectifs en France avec la vie en Iran.
Comment peut-on être Français
« Comment peut-on être Persan », tel est le sous-titre du livre. Pourtant nous savons que le vrai but de Montesquieu était d’écrire sur « comment peut-on être Français ». La comparaison est, en effet, un moyen puissant de distinguer les qualités et les défauts des choses. La préoccupation du philosophe français était évidemment de discuter de l’identité de son pays sans le moindre intérêt réel pour celle des Persans. Il parle des mœurs des Iraniens du XVIIIème siècle sans jamais mettre les pieds dans le pays ni parler la langue. Il ment donc dans sa préface lorsqu’il dit que « je ne fais donc que l’office de traducteur. »
Nous savons aujourd’hui que l’œuvre de Montesquieu est un roman épistolaire : un genre littéraire dans lequel le récit se compose de la correspondance fictive d’un ou plusieurs personnages. Pour ce faire, le jeune baron français du XVIIIe siècle s’inspire des récits des grands voyageurs contemporains comme Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689) Jean Chardin (1643-1713). L’image de l’Iran chez Montesquieu, est une société figée, sans mouvement, sans nuance, sans complexité, mais violente, brutale et parfois loin d’un peuple qui mérite le titre de « civilisé ».
Pourtant, le but de Montesquieu n’est pas de parler de la Perse, mais de critiquer le système politique et social français de la Régence et des mœurs de la France de l’époque sous couvert d’un roman satirique racontés par des Persans fictifs. Par ailleurs, il publie les Lettres persanes, son premier livre, anonymement en 1721 à Amsterdam.
Trois siècles plus tard, la pratique entreprise dans le XVIIIème siècle par des grands penseurs comme Montesquieu reste encore présente de nos jours notamment dans les médias grand public. Combien de journalistes écrivent des papiers sur des pays lointains et leur peuple sans y mettre les pieds ou peut-être seulement à la suite d’un court séjour quasi touristique ?
Suivre l'Iran depuis l'Iran !
L'Iran est au cœur de l'actualité internationale et souvent cité lorsqu'il s'agit de questions géopolitiques. Pourtant, les sources d'information dont nous disposons sur ce qui s'y passe sont rares et reflètent des positions politiques ou idéologiques dominantes : soit la presse officielle iranienne, soit des médias occidentaux pour la plupart financés par les Etats portant des missions politiques et géopolitiques. Les journalistes iraniens de la diaspora, y compris moi-même, sont eux-mêmes établis dans les capitales occidentales, en Europe ou en Amérique du Nord. Ce qui nous manque, c'est l'accès à une information de première main en provenance directe d'Iran.
Malgré diverses contraintes, telle que la censure et la pression régulière sur les journalistes, la presse indépendante iranienne de 2013 à 2021 faisait preuve d'un dynamisme admirable et la blogosphère iranienne était l'une des plus actives au monde. Médecins, ingénieurs, artistes, et tous les autres acteurs les plus prestigieux de la société civile étaient présents dans la blogosphère iranienne ou sur les réseaux sociaux. La presse, les médias sociaux et les blogs offraient une production diversifiée d'analyses sociales, politiques, économiques et culturelles de grande qualité, suffisante pour comprendre les dynamiques politique et social du pays.
Notre objectif était d’apporter une dose quotidienne d’actualités iraniennes, sélectionnées parmi les meilleurs éditoriaux et articles et posts publiés dans les médias officiels et officiaux du pays. Ce faisant, nous avons élargi le nombre de sources en français et en anglais disponibles sur l'Iran. Certains de nos articles ont été repris ou mentionnés par la presse internationale comme CNN, le Washington Post, Courrier International ou France Culture. Notre production couvrait l'actualité internationale ainsi que les changements en cours dans la société civile iranienne.
Notre public était composé de journalistes, de chercheurs, d'étudiants, d'activistes, d'hommes et de femmes d'affaires, mais aussi de tous ceux qui s'intéressaient à l'Iran et qui voulaient en savoir plus - à travers des informations non médiatisées.
En créant Lettres Persanes, notre principal objectif était de donner un accès direct au meilleur de la presse iranienne à notre audience francophone iranophile. Pour ce faire, on ne s’est pas seulement contenté des traductions brutes des articles, mais beaucoup de synthèses et mise en contexte qui suivaient toujours les articles. Nous avons également créé des dizaines d’épisodes de podcasts et de vidéos.
Mon constat était et est le suivant : il est presque impossible de vulgariser correctement les enjeux complexes d’un pays pour le grand public d’un autre pays. Rare sont les journalistes qui y arrivent, comme le fait chaque matin Pierre Haski dans sa chronique géopolitique sur France Inter. En revanche, il est possible de s’adresser à un public initié. Il peut être ensuite l’ambassadeur du message. Ainsi, nous avons créé une communauté de lecteurs et de lectrices d’environ trois mille personnes qui recevaient notre newsletter à chaque publication.
Après l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux Etats-Unis en 2017 et la sortie unilatérale de son pays de l’accord international sur le programme nucléaire iranien et par conséquent le retour des sanctions cotre l’Iran, malheureusement, les activités de Lettres Persanes ont rencontré une baisse significative. Cela a également coïncidé avec le départ de Delphine O à l’Assemblée nationale en tant que députée.
Mais cette expérience m’a permis de collaborer avec d’autres médias, think tank et centre de recherches. Que ce soit dans les pages du Monde, sur l’antenne de France Culture, RFI et RTL ou encore sur les plateaux de France 5 ou LCP, je n’ai eu cesse de vouloir offrir un autre regard sur l’Iran, toujours basé sur les mêmes sources : les journalistes, les chercheurs et les activistes actifs dans le pays. J’ai beaucoup d’admiration pour ces personnes et pour leurs travaux dont mes articles et mes analyses se nourrissent.
Et maintenant, le résultat !
« L’Iran, déçu mais debout » est le résultat de mes douze années de travaux sur l’Iran des années 2009 à 2022 ; sa politique, sa géopolitique, mais aussi sa société. Une chronologie dense de nombreux épisodes que l’Iran et les Iraniens ont traversé ces treize dernières années.
Ce travail a eu la chance d’être enrichi par les plumes expertes de mes excellents collègues chez Lettres Persanes et Thinkestân, notamment Delphine O et Farid Vahid.
En 150 ans, l’Iran moderne a vécu deux révolutions l’une à l’échelle de la révolution constitutionnelle britannique et l’autre à la grandeur et profondeur de la Révolution française. Il a également encaissé au moins cinq mouvements politiques et sociaux de l’ampleur de mai 68, qui ont marqué le pays pour toujours.
Mais restons prudents et ne confondons pas les pays. Pour mieux comprendre les évolutions sociopolitiques de l’Iran, il faut d’abord connaître les Iraniens. Dans le prochain épisode, je vous introduirai l’esprit idéaliste iranien. Un idéalisme révolutionnaire mais qui reste en même temps très pragmatique. Cela peut paraître contradictoire mais les Iraniens ont l’habitude des contradictions. En effet, l’idéalisme pragmatique est une spécialité iranienne.
Montesquieu – Les lettres persanes – L’introduction