Comprendre la Révolution islamique de 1979
À l'occasion du 44e anniversaire de la Révolution islamique, voici le condensé de cinq parties de "L'Iran déçu mais debout" pour mieux cerner les aspects historiques et philosophiques de celle-ci.
Le 11 février 2023, la République islamique d’Iran et une partie de la population fêtent le 44e anniversaire de la Révolution islamique de 1979, qui a renversé la monarchie trimillénaire iranienne et instauré un nouveau régime : une République islamique. Plus concrètement, une république théocratique constitutionnelle.
Alors que ce dernier vit sa 5e décennie d’existence, il n’a été confronté à des contestations populaires importantes qu’à partir de la quatrième décennie. Les dernières datant de l’année 2022. Une révolte historique et inédite à l’échelle mondiale où les femmes défient sérieusement un régime politique.
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La Révolution islamique en héritage
La Révolution de 1979 et son héritage méritent qu'on se penche dessus afin de bien saisir. Il se trouve que dans l'histoire de chaque pays, il existe des moments fondateurs qui s'ancrent dans l'esprit des gens. Cette Révolution est l'un de ces moments fondateurs pour les Iraniens, pour l'Iran et son histoire. Elle est à l'origine de l'institution de la première République iranienne. Néanmoins, ce n'est pas n'importe quelle République qui s'instaure puisqu'à celle-ci s'ajoute l'adjectif "islamique".
L'art d’anticiper une Révolution islamique
Quatre ans avant l'avènement de la Révolution de 1979, des chercheurs de l’université de Téhéran mènent une enquête prophétique montrant un fort dynamisme islamiste notamment parmi la jeunesse du pays.
En 1975, ses chercheurs anticipent un bouleversement en voie de réalisation en Iran : « les pays en voie de développement et plus spécifiquement des pays comme l’Iran qui possèdent des ressources importantes, ont connu depuis plusieurs décennies un développement économique et social important. Nous pouvons dire qu’ils vivent simultanément des révolutions économiques, politiques et technologiques », en conclusion de leurs recherches, quatre ans avant l’avènement de la Révolution islamique.
On démontre dans cette étude prophétique l’émergence des réseaux culturelle, économiques et politiques. Ils sont dirigés par une nouvelle génération des jeunes musulmans plutôt éduqués, urbains, mois traditionaliste et plus politisés. Ses réseaux sont développés en parallèle des institutions de l’Etat depuis quinze années qui précédent la Révolution islamique.
Les chercheurs choisissent deux périodes clées pour comprendre mieux les dynamismes sociaux et politiques du pays. La première période concerne de 1953, l’année du coup d’Etat dirigée par le CIA contre le gouvernement du Premier ministre populaire Mohammad Mossadegh, à 1963, l’année de l’arrestation en ensuite l’exil de l’ayatollah Khomeyni et en conséquence son émergence en tant que le principal leader qui incarne l’opposition au Chah. La deuxième période concerne de 1963 à 1975.
Selon les statistiques présentées dans l’ouvrage, seulement 10% des livres publiés dans la première période sont consacrés à la religion contre 25.82% à la fin de la deuxième période en 1972 où on constate la publication de 578 ouvrages religieux.
« À la fin de l’année 1975, dans la ville de Téhéran, il existe environ 48 maisons d’édition religieuse dont 26% ont commencé leurs activités une dizaine d’années auparavant »,
évoquent les chercheurs.
Entre 1961 et 1972 le nombre de mosquées passe de 293 à 700 dans la ville de Téhéran. En 1973, selon une enquête évoquée dans l’ouvrage, il existe 909 mosquées à Téhéran. Selon une autre réalisée fin 1975, il y aurait minimum 1140 mosquées. Ainsi, en 14 ans, le nombre de mosquées aurait été multiplié par 5 ne serait-ce qu’à Téhéran.
À côté de la place importante des mosquées considérées comme le réseau religieux traditionnel, on assiste au développement de nouvelles organisations religieuses. Le rapport montre qu’en 1974, durant les mois de muharram et de ramadan (sacré pour les musulmans chiites), environ 12300 « Héy’at », une nouvelle forme d’organisation religieuse plus souple que les mosquées, se constituent à Téhéran. Ces groupes ont pour mission l’organisation des cérémonies religieuses comme Ashura. « La plupart d’entre eux sont créés après 1965 », selon les enquêtes.
Les études menées indiquent la création de 32 banques islamiques seulement à Téhéran entre 1969 et 1974. Ses réseaux financiers composés par des petites mais nombreuses organisations économiques joueront plus tard un rôle central dans le financement de la Révolution islamique.
Ainsi, de 1963 à 1979, Khomeiny aura eu 16 ans pour forger son armée afin de renverser ses deux concurrents : le Chah, et le clergé traditionnel.
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L’émergence de l’ayatollah Khomeiny comme une figure de la spiritualité politique
En 1979, la Révolution iranienne transforme l’Iran en République islamique. Le pays devient une République islamique dirigée par l’ayatollah Khomeiny.
Mais qui est l’Ayatollah Khomeiny ? Comment sa figure religieuse émerge dans le monde politique ?
L’ayatollah Khomeiny est né le 24 septembre 1902 dans la province de Khomeyn à l’est de l’Iran. Il est élevé dans un milieu très religieux et matriarcal et, fils et petit-fils d’ayatollahs. Sa carrière est d’abord et avant tout religieuse. Il obtient en 1927 le titre d’ayatollah et enseigne à Qom où ses conférences rencontrent une audience importante.
L’éducation de Khomeiny est particulièrement marquée par son initiation d’un certain grand maître de la spiritualité islamique comme Ibn ‘Arabi (1165-1240) et ses interprètes chiites, mais plus particulièrement des philosophes spirituels du XVIe siècle de l’école d’Ispahan comme Mollâ Sadrâ (un courant né de la rencontre du soufisme et de la philosophe néoplatonicienne en s’appuyant sur la sagesse spirituelle de la Persse antique).
Ce n’est qu’en 1967, à l’occasion de la Révolution blanche que Khomeiny choisit d’entrer en politique. Au début des années 1960, le shah organise la révolution agraire, baptisée « la Révolution blanche » en vue de décentraliser les ressources du pays. Celle-ci n’a cependant que peu de répercussions du fait de son caractère autoritaire mais également car elle provoque la colère des pouvoirs locaux ainsi que du clergé à cause d’une certaine mesure sociale et culturelle comme le droit de vote pour les femmes. Cette révolution est, de plus, contraire au droit privé propre au chiisme. Elle entretient et/ou initie une série d’inégalités qui aboutissent, en 1979, à la révolte de classes moyennes émergentes et populaires excédées par les inégalités.
L’opposition de l’ayatollah Khomeiny à la Révolution blanche du shah le place en tant que leader emblématique de l’opposition au chah Mohammad Reza Pahlavi et entraîne son arrestation puis son exil.
Durant les quatorze années de son exil, son discours s’affine et se systématise autour de son opposition à la politique du shah. Depuis Nadjaf puis son court séjour de trois mois et demi à Neauphle-le-Château en France, il propage ses idées à travers des cassettes audio diffusées en Iran et dupliquées.
Si la Révolution iranienne est d’abord intellectuelle, elle se transforme très vite en révolte religieuse. Le mouvement est révolutionnaire et religieux en opposition au despotisme du chah : les signes chiites viennent se confondre avec les symboles révolutionnaires et, ne font plus qu’un. Une spiritualité politique émerge.
La réalité culturelle de l’Iran est imprégnée de manière profonde non seulement par l’islam en tant que religion mais surtout par la religiosité. C’est cette religiosité qui légitime l’instauration d’une République islamique en 1979. Cette dernière permet à l’Iran de plonger au plus profond de sa culture, afin de retrouver une identité spirituelle politique.
Le peuple iranien dans son ensemble dénonçait cette idéologie d’« ouestoxication » en laquelle le peuple iranien ne parvenait plus à se reconnaître. En effet, l’idéologie du chah reposait sur une occidentalisation qui n’a jamais été intégrée par la population.
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La spiritualité politique
L’émergence du concept de spiritualité politique selon Michel Foucault et son expression sur la scène politique iranienne s’illustre avec le retour de Khomeiny de l’exil.
“Quel sens, pour les hommes qui habitent (en Terre d’Iran), à rechercher au prix même de leur vie cette chose dont nous avons, nous autres, oublié la possibilité depuis la Renaissance et les grandes crises du christianisme : une spiritualité politique. J’entends déjà des Français qui rient, mais je sais qu’ils ont tort”.
Michel Foucault intronise ce concept à la suite de deux voyages à la suite de deux voyages entrepris par Foucault en Iran, en septembre et novembre 1978, soit quelques mois avant le retour de Khomeiny et la proclamation de la République Islamique.
Les causes la Révolution iranienne ont fait couler beaucoup d’encre dans les médias occidentaux, et Foucault a été frappé par le clivage entre la réalité du terrain qu’il a pu apercevoir en Iran et ce qu’on pouvait lire dans les journaux, ou ce que les intellectuels français en tiraient comme conclusions.
À travers du concept de la spiritualité politique, le philosophe vient mettre en lumière l’idée qu’un espace s’est créé, combinant la spiritualité et le politique, et que cet espace a trouvé ses racines dans les contestations populaires, celles qui ont conduit le pays à une Révolution.
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Le concept de velayat-e faqih : innovation théologique, révolution politique
Un amalgame entre le Philosophe-Roi de la pensée antique perse et le Wali (le maître spirituel) due soufisme, Khomeiny conceptualise velayat-e faqih : la souveraine spirituelle et politique du clerc.
Cependant, l’innovation de Khomeiny n’était pas dans l’invention des nouveaux concepts mais d’une nouvelle articulation des concepts déjà existants dans la culture iranienne, la spiritualité musulmane et la tradition chiite. L’idée de « velayat » trouve sa racine dans le soufisme. Il s’agit d’un maître spirituel qui guide l’incitateur soufi dans son cheminement spirituel. Selon les textes fondamentaux soufis, atteindre le degré de « velayat » est le sommet du cheminement soufi.
Si Abū l-Qāsim al-Qushayrī (986-1072) est l’un des premiers théoriciens soufis qui développe le concept, c’est Ibn ‘Arabi (1165- 1240) qui donne une légitimité philosophique au concept. Rouhollah Khomeiny enseignait la spiritualité de ce dernier ainsi que la philosophie de Mollâ Sadrâ (1571-1641), lui-même influencé par Ibn ‘Arabi d’un côté, mais aussi par la sagesse iranienne de l’Antiquité par l’intermédiaire d’un autre grand philosophe-soufi iranien Shihab al-Din Sohrawardi (1155-1191) et la tradition néoplatonicienne musulmane des philosophes iraniens comme Al-Fârâbî (872- 950) et Avicenne (980- 1037). Alors Khomeiny, par l’intermédiaire de Mollâ Sadrâ, hérite une longue tradition de pensées philosophiques et spirituelles.
Pour Mollâ Sadrâ, le véritable « savant » des enseignements visibles et cachés de la charia (le Chemin) peut atteindre le degré de « velayat » et avoir une autorité sur la vie intérieure et extérieure des croyants. Quant à l’ayatollah Khomeiny, il remplace « le savant » de Mollâ Sadrâ ayant une large gamme des savoirs, par le « faqih », le clerc, le docteur de la loi religieuse. Ce faisant, est-ce que Khomeiny a trahi le fondement de l’idée initiale de Mollâ Sadrâ, mais aussi d’Al-Fârâbî ou d’Avicenne ? Ou cela était la conséquence inévitable de cette pensée dans un contexte historique à travers de siècles qui est celui de l’Iran ?
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44 ans après la Révolution islamique, un clergé déconnecté d’une société iranienne moderne et libérale
Avec le départ du shah le 16 janvier 1979 et le retour triomphal de Khomeini en Iran au 1er février 1979 en ensuite la victoire de la Révolution dix jours plus tard, c’est une nouvelle ère du chiisme iranien qui s’ouvre. Désormais, les dignitaires religieux peuvent occuper les plus hauts postes du pays, qui est dirigé par un ayatollah. La barrière qui séparait le politique du religieux s’efface ; le clergé khomeyniste rentre de plain-pied dans l’espace d’exercice du pouvoir.
Alors que les mouvements révolutionnaires qui agitent le « Tiers-Monde » africain, asiatique et sud-américain se réclament d’un communisme athée et matérialiste, c’est par le biais de la spiritualité et de la religion que l’Iran entre dans l’Histoire moderne. Spirituelle ou religieuse Khomeiny et pour des millions d’Iraniens de l’époque, la Révolution est bel et bien islamique, non seulement dans ses effets, mais surtout par ses causes.
S’il y a quarante ans on préférait un lien entre l'État et les autorités religieuses, l'Histoire n’a pas accouché une société islamique dans le sens souhaité ou promise par les pères de la Révolution. Loin des images de mollahs enturbannés et de tchadors omniprésents, l’Iran du XXIe siècle est une terre complexe, où le conservatisme est autant (voire plus) sociétal que religieux, où la société réinvente en permanence les codes imposés par le pouvoir.
Jadis populaire, le clergé, en prenant part à la vie politique et en tombant dans ses écueils les plus communs (corruption, népotisme, autoritarisme, etc.), a perdu son aura, et bien souvent, le respect de la population. Naguère fier de son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, et prescripteur respecté de la vie spirituelle du peuple, le clergé est devenu un establishment comme un autre, aussi impopulaire que la classe politique, décrédibilisé lorsqu’il veut enseigner la morale, et ridiculisé lorsqu’il entend l’imposer. Confortablement installé dans une République islamique qui consacre l’avènement du religieux dans le politique, l’establishment religieux a perdu le contact avec le peuple.
S’il y a quarante ans une majorité écrasante de la population iranienne préférait conserver un lien entre l'État et les autorités religieuses, la configuration actuelle n’a pas accouché de la société islamique dans le sens souhaité par les pères fondateurs de la Révolution. Aujourd’hui, l’Iran est la société la plus sécularisée du Moyen-Orient, et probablement du monde musulman.
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Bonne lecture,
Rooh Savar