15- Qui est Ali Khamenei, l’ayatollah moderne, le Guide contesté | L'Iran, déçu mais debout | RoohSavar
Politicien habile, religieux moderne, vénéré par ses proches mais détesté par ses ennemis, qui est l’ayatollah Ali Khamenei, le Guide de la République islamique d’Iran depuis plus de trois décennies ?
Occupée pendant dix ans par le leader de la Révolution de 1979 l’ayatollah Rouhollah Khomeiny lui-même, la fonction de guide suprême est exercée depuis 1989 par l’ayatollah Sayyed Ali Khamenei.
Pendant l’occultation de Sa Sainteté le maître du temps (que Dieu le très haut veuille réduire l’attente), la régence exécutive et la direction de la communauté islamique des croyants dans la République islamique d’Iran appartiennent au jurisconsulte religieux (le faqih), juste, vertueux, conscient des problèmes de l’époque, courageux, capable de diriger, avisé, qui assume ses fonctions conformément à l’article 107.
C’est ainsi, l’article cinq de la Constitution de la République islamique d’Iran définit et décrit son Guide.
Selon la Constitution, le Guide est nommé à vie par l’Assemblée des experts (au 2/3), celui-ci étant lui-même élu au suffrage universel. Les experts ont théoriquement le pouvoir de le destituer. Dans la première version de la Constitution de 1980, le Guide est obligatoirement un marja’ al-taqlid soit une source d’émulation dans l’islam chiite. Un marja’ est un grand ayatollah qui s’est distingué par la qualité et l’exceptionnalité de son interprétation du Coran et de son enseignement religieux. Les chiites choisissent un marja’ dont ils deviennent adeptes et dont ils suivent les prescriptions. Il est impératif que le marja’ soit contemporain et en vie. Les croyants ne sont pas autorisés à choisir parmi les ayatollahs décédés. Or plusieurs popes chiites cohabitent au sein de la communauté des croyants.
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Depuis la révision constitutionnelle de décembre 1989 voulue par l’ayatollah Khomeiny, le Guide n’est plus nécessairement choisi parmi l’autorité religieuse suprême du chiisme (marja’-é taghlid), et peut donc être choisi parmi le clergé intermédiaire (mojtahed). C’est le cas du Guide actuel, Ali Khamenei, qui a obtenu le titre d’ayatollah moins prestigieux que marja’-é taghlid - au moment de sa nomination en tant que successeur du fondateur de la République islamique d’Iran en 1989. Cette révision a eu pour conséquence un déclin de la légitimité religieuse du Guide, qui, désormais, n’est plus la plus haute référence du chiisme.
Il reste pourtant le chef de l’Etat iranien, dont il représente la plus haute autorité politique. La Constitution lui attribue une large gamme de compétences, notamment dans l’article 57 où il est indiqué que le Guide est le commandant suprême des forces armées, il a le dernier mot en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère. Il désigne le chef du pouvoir judiciaire (le Conseil supérieur de Justice), les chefs des forces armées, les prédicateurs de la prière du vendredi à travers du pays, mais aussi les responsables de la radio-télévision nationale. Il nomme également six membres parmi les douze membres du Conseil des Gardiens de la Constitution (l’équivalent du conseil constitutionnel en France), et quasiment l’intégralité des quarante-quatre membres du Conseil du discernement de l’intérêt supérieur du régime (l’équivalent d’un Sénat). Les décisions du Conseil suprême de la Sécurité nationale doivent obtenir son aval. Enfin, il ratifie le mandat du Président élu par le suffrage universel. La constitution donne au Guide la responsabilité de tracer les grandes lignes de la politique intérieure et extérieure du pays.
La Constitution fait donc bien du Guide l’institution centrale de la République islamique. La nature de sa fonction est cependant plus proche du rôle de surplomb de la vie politique iranienne que de celle d’un acteur direct, rôle qui incombe dans le texte constitutionnel au président de la République, chef de l’exécutif. C’est pourquoi le Guide n’est pas censé prendre parti directement en cas de conflit politique.
Les attributions et les responsabilités du Guide de la Révolution selon l’article 110 de la Constitution sont les suivantes :
1. Déterminer la politique générale du système de la République islamique d'Iran après consultation avec le Conseil d’expertise ;
2. Superviser la bonne mise en œuvre des politiques générales du système ;
3. Organiser des référendums ;
4. Commander les forces armées ;
5. Déclarer la guerre, la paix et mobiliser des forces ;
6. Procéder aux nominations, aux congédiements et accepter la démission de :
a. Les jurisprudents du Conseil des Gardiens,
b. La plus haute position du pouvoir judiciaire,
c. Le chef de la radio-télévision nationale,
d. Le chef de l'état-major des forces armées,
e. Le commandant en chef du Corps des Gardiens de la Révolution islamique,
F. Les commandants en chef des forces de sécurité et des forces armées ;
7. Coordonner les relations entre les trois branches de l’État et résoudre tout conflit entre eux ;
8. Résoudre les problèmes du régime qui ne peuvent pas être réglés par des moyens ordinaires soit par Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime ;
9. Ratifier la nomination du président de la République, après son élection par le suffrage universel ;
10. Révoquer le président de la République, dans l’intérêt supérieur du pays, après que, soit la Cour suprême ait rendu une décision le condamnant pour manquement à ses obligations légales, ou le Majles, (l'Assemblée), fondée sur l'article 89 de la Constitution, ait voté contre sa compétence ;
11. Accorder ou réduire les peines des condamnés, dans le cadre de critères islamiques, après que le chef du pouvoir judiciaire ait recommandé une telle motion.
Le Guide peut déléguer certaines de ses fonctions et attributions à une autre personne (physique ou morale).
Malgré ce pouvoir étendu du Guide, la République islamique d’Iran est basée en théorie sur le principe de la séparation des pouvoirs. Selon l’article 57 de la Constitution, les pouvoirs en place en République islamique d’Iran sont constitués des pouvoirs législatif, exécutif, et les pouvoirs judiciaires. Ils opèrent sous la surveillance de l'autorité absolue du Guide de la Révolution. Ces pouvoirs sont indépendants les uns des autres.
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Qui est l’ayatollah Ali Khamenei, le Guide actuel de la République islamique d’Iran
Sayyed Ali Hossaini Khamenei, né le 19 avril 1939, est le deuxième Guide de la République islamique d'Iran. Selon la Constitution de la République islamique d'Iran, il est considéré comme le plus haut responsable du pays et le commandant en chef des forces armées. Il est également l'imam du vendredi de Téhéran, c’est-à-dire l’imam officiel qui dirige la prière de cette journée sainte.
Il a poursuivi ses études dans les écoles religieuses de Mashhad, Nadjaf et Qom. Sa première rencontre avec Rouhollah Khomeiny a eu lieu en 1957-58. À cette époque, l’ayatollah Khomeiny était connu du public comme chef religieux et figure spirituelle. Toutefois, la personnalité politique de Khomeiny a été révélée à tous, y compris à Ali Khamenei, au début des années 1960, lors de la révolution agraire, baptisée « la Révolution blanche » par le dernier shah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi en vue de décentraliser les ressources du pays.1 La même année, Ali Khamenei rejoint le mouvement de l'Ayatollah Khomeiny contre le régime. En février 1960, l'Ayatollah Khomeiny confie au jeune Ali Khamenei la mission de délivrer ses messages au clergé de la très importante région du Khorasan et au peuple de Mashhad, dont il est originaire, aujourd’hui la deuxième ville du pays.
Il poursuit ses activités contre le gouvernement du shah d'Iran, conformément aux objectifs du mouvement de Khomeiny. Au cours de ses activités, le régime l'arrête et l’emprisonne à six reprises. Il est mentionné dans les documents de la SAVAK, la police politique du pays de l’époque, comme l'un des principaux porte-drapeaux de la Révolution islamique au Khorasan. La veille de la Révolution, en 1978, la gendarmerie l’envoie en exil à Iranshahr puis à Jiroft dans le sud-est du pays pour trois ans, ce qui deviendra caduc en raison de l’ampleur des protestations révolutionnaires en 1979 qui déstabilisent le pouvoir en place, il finit donc par regagner Mashhad.
Quelque mois plus tard il participe alors à l’organisation des manifestations anti-régime du jour de l'Achoura à Mashhad. Lors du sermon de la nuit de l'Achoura dans le mausolée de l'Imam Reza (le 8eme imam des chiites enterré dans cette ville sainte), il récite le sermon au nom de Sayyed Rouhollah Khomeiny contrairement à la tradition habituelle où une prière était récitée pour le shah Mohammad Reza Pahlavi.
Désigné chef du comité de propagande de la Révolution, il se rend à Téhéran pour organiser le retour prochain de Khomeiny après sa longue période d’exil. L’accueil historique qui lui sera réservé à sa sortie de l’avion le 1er février 1979 illustre bien les attentes du peuple qui voit en lui le sauveur de la nation.
Le chemin vers le sommet
Malgré son ascension accélérée, Ali Khamenei n’est pas encore considéré comme faisant partie du leadership de la Révolution islamique. Encore en exil, Rouhollah Khomeiny constitue le Conseil révolutionnaire islamique d'Iran le 23 janvier 1979, pour diriger la Révolution. Le Conseil est en charge des fonctions exécutives de la Révolution mais aussi de la préparation de la législature du futur régime. Le jour suivant, le shah Mohammad Reza Pahlavi quitte le pays. À la fin du mois de janvier, Sayyed Ali Khamenei assiste aux réunions de ce Conseil à la suggestion de l'ayatollah Morteza Motahari, le principal théoricien de la République islamique et le plus éminent disciple de l'ayatollah Khomeiny.
Le voici enfin parmi les dirigeants du plus grand bouleversement de l’histoire de l’Iran contemporain. Une position qu’il n’abandonnera jamais. Akbar Hashemi Rafsanjani, l’autre membre influent du leadership de la Révolution joue un rôle essentiel dans cette promotion. Nous allons voir comment ce dernier contribue à l’ascension de son ami Khamenei, jusqu’à l’éminente position de Guide de la République islamique à la succession du fondateur du la République islamique d’Iran en 1988.
Après la victoire de la Révolution, l’ayatollah Khomeiny nomme Sayyed Ali Khamenei comme imam du vendredi de Téhéran. Une position symbolique puissante. En mai 1980 il se lance dans le jeu politique parlementaire. Il est élu par les habitants de Téhéran avec un score fort et entre dans le premier Majles post-révolution.